Pourquoi ne mange-t-on pas de pepperoni en Italie?
Le pepperoni est la garniture à pizza préférée (en anglais) des Américains, et cette tendance est en croissance dans le monde entier. Un pays continue cependant de lui résister, ce qui l’empêche de dominer le marché mondial : l’Italie.
Pourquoi? Tout d’abord, comme la plupart des Italiens et Italiennes le savent déjà, le pepperoni n’a rien d’italien. Ce dernier est plutôt une création italo-américaine qui est apparue au début du 20e siècle avec l’arrivée des immigrants à New York. Si vous dites « pepperoni » aux Italiens, ils entendront « peperoni » qui, sans le 2e « p », signifie poivron.
À première vue, il serait difficile de confondre le salami séché et épicé fait de bœuf et de porc avec le fruit de la famille des poivrons, mais leurs similitudes gustatives peuvent expliquer les origines du nom donné au saucisson. Selon John F. Mariani, historien culinaire et auteur du livre How Italian Food Conquered the World (en anglais), le terme « pepperoni » a été donné à ce saucisson par les Italo-Américains qui en mangeaient, car son goût leur rappelait celui du peperoncino, un piment calabrais piquant du sud de l’Italie.
Toujours est-il qu’avec le lien qui existe entre le pepperoni et l’Italie, la vague virale des tendances culinaires et la popularité sans cesse croissante de la pizza, vous pourriez être tenté de croire que l’Italie a adopté le pepperoni. Eh bien, il n’en est rien. Ce qui nous mène à nous poser la question suivante : Pourquoi ne mange-t-on pas de pepperoni sur la pizza en Italie?
La réponse courte? Parce que le pepperoni n’est pas essentiel aux Italiens.
La garniture préférée des Américains [et de nombreux Canadiens] (note de la trad.) attire peu l’attention des Italiens et Italiennes, qui, lorsqu’il est question d’aliments, ont accès à un impressionnant choix de produits régionaux dans chacune des catégories d’aliments. Le saucisson séché ne fait pas exception. Il y a le spianata, le ventricina, le soppressata, le crespone, le napoletano et le norcia, pour n’en nommer que quelques-uns. Chaque région d’Italie possède sa version du salami, et plusieurs de ces versions, comme celles ci-haut mentionnées, contiennent des épices et des poivrons. Bref, ce n’est pas le choix de charcuteries qui manque aux pizzaioli.
Mais, qu’à cela ne tienne, ce n’est pas parce que les Italiens ont tous ces salamis à leur portée qu’ils les utilisent comme garnitures. Jusqu’à récemment, aucun salami ne garnissait les pizzas italiennes. Même ces dernières années, on ne voyait que deux sortes de salamis sur les pizzas : le milanais et le napolitain. Ces derniers s’utilisent de façon interchangeable (avec l’ajout de piments rouges hachés) sur la diavola, qui signifie « diable » en italien, une pizza de base dans le menu des pizzérias. Cette pizza est reconnue pour plaire aux personnes qui aiment les mets piquants, même si ces salamis ne sont en réalité que légèrement piquants. Pour faire vivre à ces personnes un vrai feu d’enfer en bouche, il faudrait beaucoup plus que les 50 grammes de salami généralement parsemés sur cette pizza.
Voilà d’ailleurs une autre différence relative à l’utilisation du salami piquant pour garnir les pizzas italiennes et américaines. Aux États-Unis, il n’est pas rare de voir la pizza disparaître sous une montagne de rondelles de saucisson tandis qu’en Italie, on peut facilement compter le nombre de rondelles de salami sur une pizza : quatre ou cinq rondelles tranchées minces, s’il s’agit d’un salami de grande circonférence et à peine une dizaine de rondelles, s’il s’agit d’un plus petit salami.
Cette règle de base continue de s’appliquer alors que de plus en plus de charcuteries régionales commencent à se retrouver sur les pizzas. Les pizzaioli modernes, du moins bon nombre des bons pizzaioli, recherchent un équilibre entre les ingrédients soigneusement sélectionnés et destinés à se compléter, et le mariage des contrastes de saveurs étonnants et mémorables. Chaque ingrédient d’une pizza italienne a sa raison d’être. Par exemple, une pizza mettant en valeur le goût épicé mais doux du saucisson ventricina abruzzese (une sorte de salami de la région des Abruzzes) fera ressortir l’acidité de l’ananas rôti et coupé en dés. (En Italie, l’ananas est tout à fait accepté sur la pizza, quoi que certains puissent tenter de vous faire croire.)
Il faut voyager d’un bout à l’autre de la péninsule italienne pour savourer les nombreux agencements équilibrés que proposent les pizzaioli modernes, et mettant en valeur les salamis régionaux. Certains chefs préfèrent choisir des fournisseurs locaux; les pizzas sont ainsi à l’image et au goût de la cuisine régionale. D’autres adoptent une approche plus éclectique et s’approvisionnent en charcuteries provenant d’un bout à l’autre de l’Italie.
Même si les Italiens ont accès à un grand nombre d’ingrédients d’excellente qualité et jouissent d’un riche héritage culinaire, ils peuvent s’amuser un peu. Aujourd’hui, les pizzaioli italiens, comme bien d’autres personnes de divers domaines, se sentent obligés d’innover, en particulier puisqu’ils sont de plus en plus exposés aux tendances mondiales par l’entremise des médias sociaux.
À titre d’exemple, pensons à Mauro Espedito, qui a décidé d’intégrer une facette de son expérience internationale en préparation de pizzas, acquise au cours de nombreux voyages, dans sa pizzéria. En 2021, il a ouvert OWAP à Naples. (L’acronyme signifie One World, All Pizzas.) Le pizzaiolo napolitain a eu vent des origines calabraises du pepperoni et a retrouvé le producteur calabrais qui les fabrique pour le marché mondial. (Il a choisi une combinaison plus piquante, avec moins d’ail et d’huile, pour répondre aux goûts de ses clients, heureux de découvrir une nouvelle pizza.)
Après tout, les temps changent, et les Italiens font preuve d’une plus grande ouverture sur le monde culinaire, contrairement à la réputation qu’on leur accole. De nouveaux ingrédients piquent la curiosité des chefs et des convives, et cette curiosité générale se manifeste par un intérêt plus soutenu pour les pizzas préparées sur le territoire américain. Même le chef Franco Pepe, bien connu partout dans le monde pour ses pizzas, a créé une nouvelle version de son fameux cornet de pâte à pizza frite en la garnissant de sauce et de rondelles de pepperoni dans une récente collaboration avec Nancy Silverton.
Reste à voir si le pepperoni sur la pizza est une expérience vouée à l’échec en Italie ou s’il s’agit d’un premier pas vers une incursion permanente du saucisson en question. Le pepperoni sera peut-être, et je souligne « peut-être », bientôt adopté et intégré aux menus des pizzérias italiennes? Seul le temps (et les Italiens) saura nous le dire.